Économie

L’anti-syndicalisme de Roger J. Bédard

Couverture du livre « Diriger une entreprise non-syndiquée» de Roger J. Bédard. Éditions du chef d’entreprises inc., 1979.

Après lecture de ce livre, vous vous direz probablement que « Diriger une entreprise non-syndiquée » est un titre un peu trop mou.

Le titre nous porte à croire qu’il s’agit d’un livre d’astuces de gestion anti-syndicale pour les dirigeants d’entreprises non-syndiquées. Il y en est effectivement question :

« La destruction en série de nos entreprises de toutes dimensions par l’action abusive des syndicats rend nécessaire une nouvelle stratégie du patronat. Les chefs d’entreprise doivent exercer en matière de gestion des ressources humaines un leadership qui rende inutile la formation et la présence d’un syndicat. » (p.5)

Et on peut résumer ainsi son « leadership » :

« En bref, il nous appartient de démontrer que tous les avantages que les employés cherchent, ils sont en mesure de les obtenir de l’entreprise sans cadre syndical et sans les frais et embêtements de l’appartenance à un syndicat. »  (p.78)

En réalité ce livre aurait dû s’appeler « Comment et pourquoi  »mater à coup de cravaches » les syndicats du Québec et du Canada ».  Ce serait franchement plus honnête comme titre.

Dans « cet ouvrage [qui] groupe les réflexions d’un praticien des relations de travail. » (p.7), Roger J. Bédard (1932-2016 ?) propose effectivement -en 1979- une stratégique répressive pour faire disparaitre les syndicats du paysage Canadien et Québécois.

Au niveau de l’entreprise non-syndiquée, il prône la collaboration de classe afin d’éviter « la maison divisée contre elle-même » (p.23) :

« Loin d’être une structure de conflits, l’entreprise est une structure de collaboration qui se définit par sa finalité : le service du client ou de l’usager selon le cas. »  (p.23)

Il va plus loin en exigeant des réformes législatives favorisant de « nouvelles relations industrielles » au Québec et au Canada. Ce faisant, il demande :

  1. d’abolir carrément le droit de grève dans les secteurs publics et parapublics essentiels ;
  2. de restreindre les grèves à 5 jours par année pour les secteurs publics et parapublics non essentiels ;
  3. d’abolir les Normes du Travail.

Pour concrétiser ce programme, il fait appel à la répression étatique :

  • Fractionnement des syndicats en unités locales
  • Abolition des unités d’accréditation des syndicats récalcitrants
  • Suspension des contrevenants et sanctions avec saisie-exécutoires

« Le nouveau Code du Travail du Québec sera assorti de sanctions sévères pour décourager les contrevenants. Le congédiement et la radiation à vie des organismes professionnels seront prévus contre les têtes fortes qui auraient de nouveau la prétention de mettre en danger la vie des autres dans la poursuite de leurs petits intérêts privés.

[…]

L’objectif sera de mâter (sic) les salariés déraisonnables qui utilisent le droit de grève pour extorquer du contribuable des salaires et des avantages marginaux auxquels ils n’ont absolument aucun droit. »  p.26

Afin d’expliquer concrètement son discours et son analyse, il commente deux conflits majeurs de l’époque : la grève des postiers et la grève dans les hôpitaux du Québec.

Grève des postiers

Sans revenir sur les bases du conflit, voici son analyse :

« Par une inexplicable étourderie, M. Trudeau, il y a quelques années a déchainé les tigres de la démagogie et de l’irresponsabilité dans l’aire (sic) des relations de travail. Fait sans précédent dans toutes les sociétés occidentales, le gouvernement canadien a accordé le droit de grève aux employés des services publics. De services aussi essentiels que la Poste et le Transport maritime d’une denrée vitale comme le blé.

Le gouvernement de M. Trudeau est en frais d’être dévoré par les bêtes fauves qu’il a lui-même lancées contre le reste de la société canadienne.

À cause du courant démagogique que le gouvernement fédéral a créé, toute la société canadienne est maintenant confrontée avec l’énorme problème de désobéissance civiles, cette forme mineure de l’anarchie.

Bien sûr la très grande majorité des Canadiens vont se lever et remettre à leur place les postiers et le syndicat des postiers du Canada. Aucune société libre et qui entend le demeurer ne peut tolérer que des petits groupes de syndiqués ne défient le Parlement pour faire main basse sur le Trésor public. »  p-94

Il en conclut :

« Entre le règne de la force et le règne de la loi, les Canadiens ont choisi le règne de la loi. Et les postiers du Canada vont devoir accepter, bon gré mal gré, le règne de la Loi. » p-95

Grèves des hôpitaux

Il revient plus en détail sur ce conflit. En gros, il y accuse plusieurs instances gouvernementales de complaisance avec les syndicats. Il parle de « trahison des clercs » (p 106). Il montre ses couleurs quand il écrit qu’

« À l’été 1978, durant l’étude du bill 59, une soixantaine de malades, terrorisé par l’idée que le droit de grève pourrait être maintenu dans les hôpitaux, ont défilé en chaise roulante sur le boulevard Dorchester à Montréal. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que les politiciens et les dirigeants syndicaux qui ont poussé ces malades à un tel défilé du désespoir devraient être conduits en prison à coups de cravache dans les reins. » (p.108)

Contre les normes du travail

Ses arguments peuvent se résumer ainsi :

« Est-il préférable de sacrifier le gagne-pain de milliers de petites gens pour imposer des normes de travail plus élevées pour ceux qui continueront de détenir un emploi ? » (p.85)

Dans un post-scriptum, il complète dans son style particulier

« Le projet de loi des normes de Travail – ou bill no 126 a été adopté pratiquement sans modifications en juin 1979.

Un (sic) fois de plus, les efforts des citoyens pour faire entendre raison à ce gouvernement de journalistes et de professeurs d’université ont été pratiquement inutiles. Les petites gens du Québec paieront maintenant par la disparition de leur gagne-pain les lubies de leur dirigeants politiques. » (p.93)

Ce bref aperçu du livre reste superficiel.

Des extraits entiers mériteraient d’être retranscrits.

Par exemple, la préface est particulièrement révélatrice de l’argumentaire caricatural de l’auteur : état et médias noyautés par les syndicats, références papales, le syndicalisme date du siècle dernier (mais pas le capitalisme et les entreprises ?) donc n’est plus adapté à la réalité.

De plus, des contradictions mériteraient d’être approfondies.

En effet, il fait appel à la répression par l’état et les injonctions alors que celui-ci serait composé de sympathisants syndicalistes et de socialistes («néo-socialisme de Trudeau» p.19, « des journalistes et des professeurs universitaires» p. 93). Faudrait-il en déduire lorsque l’auteur croit que «la très grande majorité des Canadiens vont se lever » (p. 94), il faudrait aussi purger le gouvernement ? Beau cocktail réactionnaire tout ça. Pas étonnant qu’il s’en prenne aux « petits barbus à lunettes de l’Institut de Recherche sur le Travail de la CSD et de la CSN (p. 49) ».

Ce livre n’est pas un acte isolé, puisqu’il semble s’inscrire, du moins partiellement, avoir un écho dans l’organisation patronale de l’époque. En effet, « [les chapitres 3 à 7] ont été présentés à nos séminaires d’une journée sur le thème général ‘’Comment l’entreprise peut éviter l’action destructrice des syndicats’’. Plus de 300 chefs d’entreprises québécois répartis en cinq différents groups ont participé à ce séminaire. » (p.8). L’auteur a de plus contribué aux débats de son époque dans Les Affaires (16 mai 1977), Revue municipalité (avril 1977), Québec industriel (mai 1977), d’une causerie auprès de la Fédération des Caisses populaires de l’Ontario (mars 1974) ainsi que d’une conférence devant la chambre de commerce junior de Montréal.

On retrouvera aussi sur les Classiques de l’UQAC un compte rendu de Robert Comeau du livre « L’essor économique du Québec » (1969) sous la direction de Roger J. Bédard.

Couverture du livre « L’essor économique du Québec» sous la direction de Roger-J. Bédard. Tiré du site des Classiques de l’UQAC.

M. Comeau d’emblée annonce que «le lecteur a été trompé par le titre inadéquat du volume»  et que «la préface l’aura prévenu de la préoccupation nationaliste de l’éditeur ». L’éditeur, M. Bédard, aurait selon M. Comeau, « pris soin d’écarter [dans ses références] les esprits hétérodoxes qui n’adhèrent pas aux dogmes du libéralisme économique et au credo nationaliste ». Il identifie plus loin Bédard comme un « porte-parole de notre petite bourgeoisie commerciale et clérico-nationaliste, si puissante entre 1840 et 1950. »  Pas étonnant que « près de la moitié des 38 textes réunis sont des reproductions d’articles parus dans l’Action française [*] durant les années vingt et dans l’Actualité économique. »

Espérons que ce genre de livre restera dans le passé, comme les discours similaires méritent de se retrouver au musée des idéologies réactionnaires.

*L’Action française est une école de pensée et un mouvement politique nationaliste et royaliste d’extrême droite, soutien de la maison d’Orléans, qui s’est principalement développé dans la première moitié du XXᵉ siècle en France. (Wikipedia)

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