Un texte de feministesmaterialistes@outlook.com
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Je suis une ex-prostituée. J’ai été assassinée en dedans à mille et une reprises. Je me rappelle plus des assassins. Qu’un amas de queues. De « monsieur tout le monde ». De reviews de marchandise. De jargon aliénant. De violences.
Ce n’est pas vrai qu’on en « guérit ». Très tôt, c’est trop tard. C’est encore moins vrai que c’est un travail.
Allez dire à des femmes victimes de violences conjugales que c’est un travail, les coups qu’elles reçoivent, les insultes, la manipulation, la domination économique, les contraintes sexuelles, le sacrifice de leur individualité pour servir les hommes et leurs propriétés.
Comment voulez-vous syndicaliser des ex-gamines qui se sont ramassées à se faire imposer des deep throats par des hommes du coin dans des motels miteux parce qu’elles en pouvaient plus de leur père violent?
Vous me faites mourir à petit feu avec vos discours de révolutionnaires voulant sauver les « travailleuses du sexe ». Vous me faites dégueuler avec votre logique néolibérale à peine camouflée par vos propos de « gauche ». Vous êtes des collabos du pouvoir capitaliste, raciste, étatique, sexiste, colonialiste et impérialiste quand vous accusez les féministes abolitionnistes d’extrême gauche de vouloir criminaliser les femmes exploitées dans le système prostitutionnel et de les victimiser. Vous réduisez les survivantes au silence, à des sous-femmes, à des mortes.
Je suis une dépossédée. Mon corps a été utilisé par des centaines de bites défonceuses. Des centaines de mains agrippeuses. Des centaines de langues épineuses. Mais tsé, je travaillais…
À l’été de mes 16 ans, j’ai arrêté de compter. Je ne sais pas si c’est la drogue, la difficulté mathématique ou l’implication émotionnelle.
Des centaines d’hommes m’ont utilisée pour avoir du plaisir en niant le mien. Dans nos rapports sociaux et systèmes d’exploitation, le plaisir, c’est aussi de la domination.
Dire « travail du sexe » c’est aussi de la domination sur les survivantes qui peinent à crier leur haine de la prostitution et leur rage envers les proxénètes et clients-prostitueurs. C’est contre-révolutionnaire votre truc.
Mon vécu est loin de celui de nombreuses des femmes et encore plus éloigné de celui des hommes. Des histoires d’agressions sexuelles hors-prostitution, j’en ai. Les femmes victimes de violences sexuelles n’ont pas nécessairement vécu l’agression de la prostitution. Bien qu’évidemment, c’est un continuum de violences. Mais je ne vois pas beaucoup de solidarité envers les femmes marquées par l’exploitation sexuelle. Faut souffrir toutes seules.
On aurait dû mourir, faut donc survivre en silence, sans déranger quiconque.
Se faire explicitement payer (en touchant l’argent ou non) pour être un objet sexuel. Être dans un « contrat d’exploitation ». Devoir répondre aux demandes de la demande. Oublier le visage des agresseurs. Se sortir mentalement de son corps à répétions. Se réduire mentalement à un orifice à chaque fois. Se droguer pour être capable de se regarder dans le miroir sans voir le reflet des exploiteurs.
Les inconnus qui agressent dans les ruelles sont effectivement plus souvent dans les chambres de victimes connues, mais il ne faut pas oublier qu’une portion importante des clients-prostitueurs sont des inconnus. Pi d’la prostitution, y’en a partout.
Je suis une bête de foire. On me préfère en cage, dans un coin. On a trop peur de ce que je pourrais faire aux personnes non-exploitées dans le système prostitutionnel. Je perturbe l’ordre prostitutionnel par ma survivance. Ou encore, je suis juste lourde…
Je pourrais « gâcher » ton souper, mettre mal à l’aise tes amiEs, t’empêcher de balayer la question sous le tapis, remettre en question tes privilèges, te confronter. Mettre de l’avant la parole des survivantes de la prostitution et leur exclusion.
Je peux m’impliquer à peu près nulle part sans être confrontée à la rhétorique pro-travail du sexe. C’est trop violent en tant que femme ayant été exploitée sexuellement. Je suis pas comme mes amiEs abolitionnistes qui peuvent boire des bières avec des pro-travail du sexe.
Je ne suis plus une femme agréable et serviable. J’ai amplement déjà fait ma part.
Je me demande ce qu’un processus de justice transformatrice pourrait faire avec nous, femmes de « la sous-classe prostituée ». Je ne peux pas nommer mes agresseurs, ils s’appelaient tous « John ». Je ne peux pas demander que mes exploiteurs ne se trouvent pas sur mon passage, ces hommes peuvent être partout. Je ne peux pas réclamer justice parce que ben du monde pense que c’est un travail. Je ne peux pas véritablement avoir un soutien et une reconnaissance de mon milieu parce qu’une féministe ayant été exploitée sexuellement c’est souvent plus facile à gérer lorsqu’elle est silencieuse, instrumentalisée, anonyme et exclue. Ici, on fait de la gestion de victimes. C’est plus simple pour les personnes au pouvoir.
De toute façon, je souhaite en silence une guérilla anarcha-féministe et abolitionniste. Je souhaite que les femmes ayant un vécu en lien avec l’exploitation sexuelle dénoncent haut et fort le système prostitutionnel. Malheureusement, je dois écrire ce texte anonymement par peur de représailles, de répression et d’exclusion.
Dans la lutte pour l’abolition du système proxénètes-prostitueurs-prostituéEs (faut-il spécifier que cela comprend la pornographie), je ne veux pas entendre la voix de mes agresseurs. Je ne veux pas qu’ils gardent le privilège de nommer, d’être écoutés, de recevoir de l’empathie, d’augmenter leur capital social, etc.
Comme ils nous réduisent au silence, je veux que les clients-prostitueurs gardent le silence. Le client prostitueur ne reconnaît pas « le monstre en lui » et il ne se soignera pas. Ça ne se soigne pas. Ils font la guerre aux femmes. Je suis en guerre contre eux.
Cette psychopathologisation pacificatrice des luttes contre les violences sexuelles ne profitent pas aux femmes davantage discriminées. On parle d’un groupe social qui en domine un autre. Pas d’une « maladie ».
Je ne veux pas que l’on associe les droits des « travailleuses et travailleurs du sexe » aux droits des proxénètes et des clients-prostitueurs. By the way, toute une belle logique réformiste. Je veux une gang locale d’anarcha-féministes et de féministes/lesbiennes radicales qui sont prêtes à péter des gueules.
Je déteste l’État, je ne veux pas que la police monopolise la violence envers les exploiteurs de femmes. Mais comme les groupes militants d’extrême gauche s’en foutent, l’État s’accapare la justice.
Capitalisée, instrumentalisée, appropriée, récupérée, manipulée, revictimisée, dénigrée, attaquée. Mon discours, trop agressant. Mes témoignages, trop lourd. Ma personnalité, trop forte. Mes revendications et actions, trop radicales. Mon corps, trop présent.
De toute façon, je suis une insulte. Putain, pute, salope, pétasse, poufiasse, traînée, bordel, fils de pute. Mes conciliations, mon fermage de gueule, mon autocensure, ma tempérance, ma reconnaissance, mon léchage de cul. Jamais assez.
Je suis une plante verte que l’on sort dehors une fois de temps en temps.
« Ce n’est pas tout le monde qui ont tes connaissances. »
« Il faut une diversité d’opinion. »
« Tu ne peux pas imposer ton point de vue. »
« Tu es abo…li…ti…on…nis…te ? »
« As-tu écouté le point de vue des travailleuses du sexe ? »
« On va pas prendre position sur quelque chose que l’on ne vit pas. »
« Les féministes abolitionnistes victimisent les travailleuses du sexe. »
« Les féministes abolitionnistes sont violentes envers les travailleuses du sexe. »
Je suis une Valerie Solonas, une Helen Carol Wuornos, une fanatique de Rote Zora.
Happy Hooker. Même si la plénitude est à ma portée grâce aux innombrables queues m’ayant pénétré, au soutien sincère de ces hommes à payer ma drogue, à leurs soucis profonds pour s’amuser à moindres coûts, à l’image idyllique des hommes qui ont été « moins mauvais que les autres », aux pro-féministes qui regardent de la « bonne » pornographie et qui sont pro-travail du sexe. Non, je ne suis pas heureuse.
Je ne veux pas juste qu’on like ou qu’on hashtag. Je ne veux pas être votre spectacle.
Je veux des prises de positions, du salissage, des actions, des réseaux de support, des mutineries, des attaques, des grands soirs.
Pour finir, Louise Michel, militante anarchiste et féministe, écrivait dans ses mémoires au sujet de la prostitution:
Et si, quand une pauvre fille (…) s’aperçoit où elle est, et se trouve dans l’impossibilité d’en sortir, elle étranglait de ses mains vengeresses un des misérables qui l’y retiennent ; si elle mettait le feu à ce lieu maudit, cela vaudrait mieux que d’attendre le résultat des plaidoiries à ce sujet…
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