Voici un superbe documentaire sur la lutte autogestionnaire à l’usine Zanon en Argentine. Comme le film « The Take » de Naomi Klein, mais… en mieux!
En effet, on y voit des témoignages beaucoup plus instructifs sur leur mode d’organisation (fréquence des instances), leur lutte (pour l’expropriation de l’usine afin qu’ils n’aient pas à indemniser l’ancien propriétaire), leur aspiration (orienter la production en fonction des besoins sociaux) et leurs difficultés (code de convivialité et concurrents subventionnés). Dans ce documentaire bien découpé en chapitres thématiques, on voit comment les ouvriers ont lutté en premier lieu pour se réapproprier leur syndicat local. Que ça soit par la corruption ou les menaces (renvoi ou attaque physique), les patrons gardaient leur emprise sur le syndicat. Les délégués marchaient main dans la main avec les patrons pour couper des postes et diminuer les salaires. Encore pire, pour empêcher les travailleurs de se solidariser sur le milieu de travail, les employeurs les obligeaient à porter des gilets de couleur correspondant à leur département. Ceci facilitait leur identification lorsqu’ils se retrouvaient hors de leur aire de travail. Des militants de la base syndicale ont donc décidé d’organiser une ligue de soccer afin de rassembler tous les départements de l’usine. En se réunissant ainsi en dehors de l’usine, ils ont pu discuter des modes d’actions à envisager pour se réapproprier leur syndicat sur une base égalitaire et démocratique. Cela me semble intéressant à souligner, car l’autogestion ne vient pas d’elle même! Ça prend des initiatives de la base afin de lutter contre la bureaucratie syndicale!
De plus, tout au long du documentaire, la grille d’analyse politique pour le pouvoir ouvrier, autogestionnaire et anticapitaliste ne tombe jamais dans le dogmatisme grâce à aux interventions de sociologues qui expliquent de manière simple comment la classe politique en vient à voter des lois qui protègent le capitalisme, comment cette même classe politique est entretenue par le capitalisme et comment l’autogestion devient une menace à la fois pour la classe politique, les capitalistes et les centrales syndicales corrompues par le pouvoir.
Les réalisateurs ont aussi inclus à la fin des images du documentaire « Vale la Pena » sur le même sujet, où l’on voit les ouvriers de FaSinPat (nom de la coopérative ouvrière de l’usine Zanon) célébrer la victoire du vote du parlement provincial en faveur de l’expropriation de l’usine (les travailleurs n’ont donc pas à payer d’indemnisation à l’ancien propriétaire). Dans ce sens, c’est le documentaire le plus à jour sur le sujet. Dans les textes de fermeture du documentaire, on voit aussi que les ouvriers de FaSinPat ont gagné un siège au parlement provincial. Ce poste de député est partagé depuis 2011 par rotation annuelle. Avant de voter pour ou contre un projet de loi, les députés de l’usine Zanon reviennent à l’assemblée de l’usine autogérée pour que les travailleurs-travailleuses décident comment le délégué doit voter.
Décidément FaSinPat est un merveilleux exemple d’autogestion. L’importance de leur initiative est telle qu’elle en vient à être l’unique exemple du documentaire intitulé « autogestion, une révolution économique ». En effet, ma première critique est que le titre aurait pu être plus explicite en spécifiant qu’il s’agissait de l’autogestion à l’usine Zanon en particulier. Bien qu’il soit question au début du film de la question de l’aliénation du travail par les capitalistes et des expériences autogestionnaires de la CNT en Catalogne en 1936, on ne traite d’aucun autre exemple d’autogestion. Quelques autres exemples auraient pu simplement être nommés: l’usine Vio.Me en Grèce, LIP et Fralib en France, Tricofil au Québec, Roue-Libre aux Pays-Bas.
Ma deuxième critique concerne la qualité des images: à un moment en particulier du film on voit sans arrêt des pixels verts qui trahissent une prise d’image de faible qualité.
Une autre chose qu’on ne voit pas dans le film, c’est que Zanon fait figure d’exception dans le portrait des usines récupérées en Argentine. En effet, comme il en est question dans le film « Vale la pena », la vague de récupération d’usines par les travailleurs sous forme de coopérative découle largement de l’adoption d’une loi découlant de la primauté du droit au travail sur le droit à la propriété dans la constitution du pays (ce qui n’est pas le cas au Canada). Cette loi fut écrite par un politicien qui plus tard devint le coordonnateur d’un regroupement d’usines récupérées. Or, ce coordonnateur-politicien agit en nouveau directeur d’usine tandis que les ouvriers restent passifs face à la structure de la coopérative. La récupération d’usine devient de la sorte une simple manière de garder sa job, exit le projet social et politique autogestionnaires. Malheureusement cette triste situation est présente dans la grande majorité des usines récupérées d’Argentine. L’avantage d’aborder cette question aurait été d’ouvrir la réflexion sur comment ici au Québec on peut voir des organisations dotées de structures et de principes démocratiques devenir des entreprises au même titre que d’autres: Desjardins, Coopsco, etc. Cette question pourrait être en soi l’objet d’un autre documentaire: comment lutter au sein des organisations dotées d’assemblées générales afin d’y amener une réelle pratique autogestionnaire. Cette réflexion est valable d’autant plus qu’un exemple fréquemment utilisé pour démontrer le succès de l’autogestion, ou du moins des coopératives, est l’entreprise coopérative Mondragon en Espagne. Or, celle-ci en est arrivée à créer différents status de membres de sorte qu’il existe des différences dans les conditions de travail des travailleurs (sous-traitance).
La qualité de l’information et des témoignages véhiculés par le documentaire pardonnent amplement ces faiblesses. Ce documentaire est une réelle source d’inspiration qui montre que les ouvriers et les ouvrières de Zanon sont un modèle à suivre. C’est d’ailleurs dans cette voie que les ouvriers de Zanon s’orientent: ils se sont réunis à Marseille avec d’autres travailleurs en autogestion (Vio.me en grèce et Fralib à Marseille) afin d’initier un réseau international d’intiatives ouvrières autogestionnaires. Ils n’ont donc pas fini de nous étonner et de nous montrer qu’il est possible de joindre le projet politique révolutionnaire à l’amélioration immédiate des conditions économiques des travailleurs-travailleuses et de la communauté qui l’entoure.
Bravo à Documentaire Semences d’avoir dresser cet enrichissant portrait et bon succès!
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